LAURIN, Danielle: Le Roman de Renée Martel
Le pire, ce soir, ce 17 juillet 2010, à Gaspé, c’est le vide. Le vide laissé par Bruno. Le salaud. Jean-Guy lui prend le bras en silence, il la guide, la conduit jusqu’en coulisse, talonné par monsieur Henri encombré de ses Garfield et armé d’une lampe de poche. Jean-Guy la pousse sur scène, littéralement, il lui donne un élan. Y serait-elle arrivée sans ? C’est parti. Comme une cowgirl dorée, suivie de Je reviens. Le public n’y voit que du feu. Elle se nourrit des applaudissements. Avant d’attaquer de front. «Aujourd’hui, c’est mon deuxième anniversaire de mariage. Je me suis mariée au pied du rocher Percé. Mais deux mois plus tard, mon mari est décédé. » Elle dit tout, ou presque. « Je pense beaucoup à lui ce soir. Je lui dédie le spectacle. J’ai le droit, hein ? » Sa voix chevrote. « Je suis une fille très émotive. » Les larmes lui montent aux yeux. Personne ne bouge. Silence de mort. Puis : « Ça vous tente de passer une belle soirée ? Moi aussi. » Les musiciens s’agitent derrière elle, ils lancent quelques notes. Elle s’abandonne, elle se donne. Elle se laisse porter. Par le rythme, par l’instant, par le public. Elle est propulsée. Elle entonne la chanson suivante, Prends ma main dans ta main. Cette voix chaude, unique. Cette sensibilité exacerbée, ce sourire d’ange, irrésistible. Cette vulnérabilité qu’elle ne cherche pas à camoufler, qu’elle ne peut pas cacher, qu’elle incarne de la tête aux pieds. Cette authenticité. Quelqu’un dans la salle crie : « On t’aime, Renée ! » En coulisse, monsieur Henri a laissé tomber ses Garfield et sa lampe de poche pour admirer sa grand-mère et taper des mains. Jean-Guy suit le rythme lui aussi, il chantonne. Jean-Guy n’est plus le chauffeur, le garde du corps, le directeur de tournée... il est un simple fan. Il est émerveillé. « Elle est née sur scène, c’est là qu’elle est la plus heureuse », glisse-t-il, ému. C’est tellement évident qu’elle a ça dans la peau, qu’elle a le feu sacré. C’est ce qui la tient, la sauve. C’est son noyau dur. Son destin. Elle est chez elle, enfin. Cet échange d’amour avec le public : sa drogue dure. Elle a en main tous ses moyens. Aucune trace d’égarement. Plus de vide, de fossé, plus de doutes. La star, la femme : ensemble. Réconciliées. Renée Martel, sur scène, transfigurée.